Le récit de vie comme mode de transformation

Donner du sens à son vécu

 

Entretien réalisé par Patricia Meylan en 2022, et publié dans la rue #prison-info 1/2022

 

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Coup de projecteur : Formation

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Le récit de vie est une méthode d’intervention orientée vers la désistance. Il demande au délinquant d’identifier son passé pour le comprendre. Une fois les chaînes brisées, il peut alors saisir les rênes de son avenir. Explications avec le Dr Baptiste Brodard, chercheur et praticien. Le récit de vie comme mode de transformation

 

Donner du sens à son vécu

 

Le récit de vie est une méthode d’intervention orientée vers la désistance. Il demande au délinquant d’identifier son passé pour le comprendre. Une fois les chaînes brisées, il peut alors saisir les rênes de son avenir. Explications avec le Dr. Baptiste Brodard, chercheur et praticien.

« On ne peut pas changer le passé. Le visualiser est un exercice de mémoire. On peut en revanche agir sur le futur. L’envisager est exercice de construction. Le récit de vie est le lien entre ces deux exercices. Il demande à une personne de se tourner vers ses actes passés afin de lui permettre de devenir sujet de ses actes à venir. Le récit de vie, précise Baptiste Brodard, permet de donner du sens à une trajectoire individuelle ». 

Entre prisons et bibliothèques

Seul son nom trahit ses origines fribourgeoises, pour le solde, Baptiste Brodard se fond dans toutes les sociétés, surtout si elles sont marginalisées. Il séjourne de préférence dans les quartiers défavorisés, les cités et les prisons. Quand il quitte la Gruyère à la fin de l’adolescence, il va vivre dans les banlieues parisiennes. Quand il revient en Suisse, il travaille en milieu carcéral. Quand il quitte l’Europe, c’est pour s’entretenir avec des prisonniers en Algérie, en Colombie, au Mexique, au Liban ou encore aux États-Unis.

Baptiste Brodard, chercheur en sciences sociales et docteur en études religieuses de l’Université de Fribourg, poursuit actuellement un post-doc au Mexique (Universidad Veracruzana). Cette carrière académique a été précédée d’expériences acquises sur le terrain : intervenant social en milieu carcéral (en Suisse), chargé de projet pour le Programme des Nations Unies pour le Développement (en Algérie) ou encore visiteur de prison (notamment en Grande-Bretagne, en Colombie). 

Entretiens avec des détenus

A l’évidence, le thème de la détention le suit. Il y a la prison stricto sensu dans laquelle il a procédé à d’innombrables entretiens. Il y a aussi la prison comme cadre de vie : « J’ai vécu ou séjourné dans différents milieux qui connaissent une omniprésence de l’incarcération comme certains quartiers de la banlieue parisienne, de Brooklyn à New York ou des « ghettos » de Philadelphie. Dans ces endroits, il est en effet ordinaire de côtoyer des familles dont un membre est concerné par la prison ; soit parce qu’il y a été enfermé, soit parce qu’il en est sorti, soit parce qu’il lutte pour ne pas y aller ou ne pas y retourner. Le sort de ce membre imprègne toute la famille ».

Ces expériences en relation avec le milieu carcéral ont nourri la réflexion de Baptiste Brodard. Il a cherché, et cherche encore, à identifier les causes de la fréquence de la délinquance dans certains milieux ainsi que les conditions d’un retour à la société. « Et parfois, dit-il, il n’est même plus question de réinsertion, seulement de survie. Il arrive que le détenu, ou l’ex-détenu, se trouve dans un tel état de détresse, qu’il faut trouver des moyens pour qu’il ne sombre pas, voire qu’il ne se suicide pas ».

Tant le risque de récidive que le sentiment d’impasse lié à un passé carcéral demandent de trouver de nouveaux modes d’intervention. Le Dr. Brodard estime que l’intervention par le récit de vie présente un haut potentiel dans la désistance et la réinsertion des détenus et des probationnaires. « Avec ce mode d’intervention, l’idée minimale est de permettre à la personne de maintenir ses acquis, l’idée générale et de lui permettre de se réinsérer dans la société, mais l’objectif final est qu’elle se sente bien dans sa vie ».

Parcours de vie

Le récit de vie est un outil issu de la sociologie clinique ; il ne relève pas de l’analyse psychanalytique. L’approche consiste pour une personne à retracer son parcours global, pour comprendre ses actes passés dans le but de maîtriser ses actes futurs.

Quand la personne concernée est délinquante, il s’agit d’abord de lui permettre d’identifier les actes qui l’ont amenée à développer une carrière criminelle. « Le passage à l’acte s’explique en partie par les expériences de vie, précise Baptiste Brodard. Mais le constat ne va pas de soi. En effet, chaque personne oublie de nombreuses étapes de son parcours de vie ». Il poursuit : « De surcroît, il n’est pas rare qu’une personne ne parvienne pas toujours à verbaliser ses actes. Quand on lui demande pourquoi elle a adopté un comportement, souvent, elle l’ignore. Soit parce qu’elle n’en était pas consciente au moment de l’acte, soit parce qu’elle l’a oublié. Or, plusieurs décennies d’expérience de vie, c’est autant de décisions, de choix qui expliquent des actes, notamment des actes criminels ». 

Comprendre pour intervenir

L’approche consiste donc en priorité à identifier les comportements passés. Il s’agit ensuite d’en faire quelque chose. « Afin de comprendre sa délinquance persistante, son mal-être, son état émotionnel, une personne doit déterminer comment elle en est arrivée là où elle se trouve. Souvent, elle l’ignore. Il est toutefois indispensable de porter un regard sur son parcours, car on ne peut pas intervenir sans comprendre », explique Baptiste Brodard.

Une fois ces éléments identifiés, il s’agit alors d’aider cette personne à ne plus subir les expériences de vie, mais au contraire à en devenir le maître. « Lorsqu’une personne devient sujet de sa vie, elle devient responsable, et elle peut faire les bons choix », précise Baptiste Brodard.

Le processus d’identification des événements et complété par l’approche « thérapeutique ». Elle implique d’abord pour l’accompagnant de poser au détenu, ou au probationnaire, des questions de cet ordre : si vous pouviez changer quelque chose dans votre vie, que changeriez-vous ? Quel est le jour de votre vie que vous aimeriez changer ? Pourquoi changeriez-vous ce jour spécifiquement ? Et que feriez-vous différemment ?

Les opérations de questions-réponses doivent amener l’intéressé à comprendre que chaque situation vécue pouvait l’être de différentes manières ; qu’il y avait différents choix possibles. De cette manière, l’intéressé  apprend à identifier les choix et à ne plus faire le choix des actes délictueux. 

Stopper les réflexes fatalistes

« Il arrive fréquemment, renchérit Baptiste Brodard, qu’une personne condamnée explique sa délinquance par le fatalisme. Cette personne dira : ‘si je suis violent, c’est parce que je suis né comme ça’. ‘Si je suis délinquant, c’est la faute à mon passé’. ‘De toute manière, je ne changerai jamais parce que je suis comme ça’. Le récit de vie est un outil de transformation qui permet de sortir du fatalisme. Il permet de stopper un engrenage. Cet outil ne permet pas à une personne de refaire le passé, mais elle lui permet de choisir son avenir ». 

Deux approches

L’intervention par le récit de vie se différencie principalement en deux formes : un accompagnement à l’introspection personnelle, lors duquel les interactions entre la personne suivie et l’intervenant resteront confidentielles,  et une approche qui vise à exprimer ou à restituer les « produits » de ce travail d’introspection à un public plus large. L’intervention peut s’adapter au contexte de la détention, de la probation ou encore d’un suivi social hors-mur.

L’accompagnement à l’introspection personnelle

Les projets d’introspection personnelle s’inscrivent dans une approche d’accompagnement entre les intervenants et les personnes suivies, sans qu’il n’y ait de projet d’en faire un « produit » dans le cadre d’un témoignage au-delà de ce cercle. L’introspection est en principe opérée par le biais d’entretiens individuels ou de réunions de groupe.

Lors d’entretiens individuels, l’intervenant accompagne l’intéressé dans la réflexion et la prise de conscience. L’introspection reste purement personnelle, elle n’est donc pas partagée avec les tiers, si ce n’est avec les autres membres présents dans le cadre d’un travail de groupe.

Le récit de vie en groupe peut ici prendre la forme d’un groupe de parole ou d’un atelier d’écriture. L’accompagnant invite les participants à se prononcer sur un thème. Les interventions effectuées en groupe permettent notamment une reconnaissance de problèmes et de traumatismes communs. Cette reconnaissance mutuelle permet à l’individu de sortir de son isolement et d’établir des liens, parfois forts, avec les autres. 

Le Compassion Prison Project mené aux États-Unis est une illustration de l’usage du récit de vie dans une approche de groupe. Intitulé Step inside the circle, ce mode d’intervention fonctionne de la manière suivante : les détenus forment en cercle dans la cour de leur établissement ; l’intervenant pose des questions ; chaque détenu avance d’un pas quand sa réponse est affirmative. Les questions posées aux détenus relèvent de traumatismes vécus durant les premières années d’existence. Des questions telles que  « durant les premières années de votre vie, un adulte au moins vous a-t-il fréquemment rabaissé ? Avez-vous porté des marques de violences corporelles ? Avez-vous eu le sentiment de ne pas être aimé ? … ». A chaque « oui », les détenus – ils sont parfois plusieurs dizaines – avancent. A la fin de l’exercice, ils se retrouvent quasiment toujours tous au centre du cercle ! « Quand une personne a été traumatisée durant son enfance, et qu’elle devient délinquante, cela peut rester anecdotique. Mais quand un grand nombre de victimes deviennent des criminels, il n’y a plus de hasard. Il faut aller s’interroger sur les facteurs de risque et le poids de traumatismes non résolus dans le passage à la délinquance », relève Baptiste Brodard. 

Projets de restitution

Les projets d’expression (on parle aussi de projets de restitution) sont concrétisés sur un support. Le récit de vie d’une personne peut être publié sous forme de livre, être édité sous forme de podcast, ou encore être présenté sous forme de pièce de théâtre.

Dès le départ, la personne en cause a le désir de partager. Elle commence par prendre conscience de ses dérives, ensuite elle les surmonte et finalement elle en témoigne par exemple au travers un livre. Son expérience de vie devient alors un enseignement. Un ex-délinquant peut ainsi à son tour orienter des détenus vers une sortie de la délinquance.

Qualités et limites

Le récit de vie s’inscrit dans un processus de développement (et non pas dans un processus d’évaluation du risque). L’intervention ne peut fonctionner qu’avec le consentement et la pleine participation de la personne détenue  ou le probationnaire. Celle-ci doit adhérer à la démarche, être motivée, participative et volontaire. « Or, dans le milieu carcéral, ce sont les règles du silence et de la méfiance qui ont tendance à prévaloir. L’approche par le récit de vie ne peut donc pas convenir à tout le monde », précise Baptiste Brodard.

Quant à l’accompagnant, il est attendu de lui qu’il respecte l’autre, qu’il accompagne plutôt qu’il ne dirige; qu’il témoigne de l’empathie, et ne juge pas ; qu’il entretienne en permanence et durablement un climat de confiance. 

Objectif désistance

Lancé en 2019 par la Commission latine de probation, le projet pilote Objectif Désistance a pour objectif un modèle commun d’interventions visant à stopper les parcours délinquants. Le récit de vie s’inscrit pleinement dans ce projet. Baptiste Brodard est du reste l’un des experts externes d’Objectif désistance. En tant que spécialiste de cette approche, il est ponctuellement appelé à tenir des ateliers ou à donner des conférences. En mars dernier[PaM1] , il a présenté le récit de vie comme outil de transformation à un groupe d’intervenants sociaux de services de probation. 

Quitter la logique quantitative

Dès lors que l’intervention par le récit de vie est basée sur le volontariat, elle ne s’adresse pas à tous les délinquants. Dès lors qu’elle demande des compétences rares, elle ne s’adresse pas à tous les intervenants. Dès lors qu’elle peut être brisée par un transfert ou une sortie de prison, elle n’est pas généralisable. Ce nouveau mode d’intervention demande donc de sortir de la logique quantitative. Il ne peut profiter qu’à un nombre restreint de délinquants. Il est dès lors légitime de se demander s’il vaut la peine de conceptualiser le récit de vie pour en faire un outil de désistance à disposition des milieux pénitentiaires et probationnaires ? Sans hésitation, Baptiste Brodard répond par l’affirmative car « changer une personne est une manière de changer le monde ».

Voyage à la découverte de la madrasa (récits de voyage dans des institutions islamiques traditionnelles au Yémen, en Algérie et en Mauritanie)

L'Islam traditionnel rencontre un regain d'intérêt et certains musulmans européens sont à la recherche d'une éducation religieuse qui suit les méthodes ancestrales.

Après avoir été mis en question par différentes sortes de réformismes, l’Islam traditionnel est en train de connaître un regain d’intérêt. Il n’est pas rare de voir les musulmans européens eux-mêmes se rendre dans un pays musulman pour y recevoir une éducation religieuse selon les méthodes ancestrales, fondées sur la mémorisation des textes et sur des chaines de transmission du savoir. 

Dans les années 2000 en Europe, des courants islamiques entraient en concurrence pour la légitimité et l’orthodoxie. En France, les jeunes musulmans oscillaient alors souvent entre les mouvements du wahhabisme, du Tabligh et des Frères musulmans. L’Islam traditionaliste était encore largement ignoré.

Pourtant, quelques années plus tard, cet Islam traditionaliste, qui avait été un temps occulté par la montée du wahhabisme et, parallèlement, par l’affirmation sur la scène sociale et religieuse de certains mouvements issus de l’approche réformiste, a suscité un nouvel intérêt chez des jeunes musulmans d’Europe. C’est dans ce contexte et suite à ces premières observations que j’entrepris des voyages dans une série de pays, en me rendant dans diverses institutions traditionnelles d’enseignement islamiques, notamment en Algérie, au Yémen et en Mauritanie. Ce papier, sous forme de reportage, vise à présenter ces différentes institutions en mettant en évidence certains points communs, malgré les éloignements géographiques et culturels de ces lieux de transmission de l’Islam.

Baptiste BRODARD

Docteur en études religieuses - Sociologue - Auteur et conférencier

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